Caravage, Michelangelo Merisi da Caravaggio (1571-1610)

Publié par cieljyoti  le 18 décembre 2011 ·

Son importance, ôter son importance aux choses et aux gens pour les rendre vivants. La beauté fige les êtres. Remplacer l’enjolivement par l’œil scrutateur. Voir pénètre la violence du monde, aiguisée jusqu’à la férocité. Pour plaire, l’art s’émousse, édulcore, il se détourne du réel. Les gens baignent dans la violence, ils ne la représentent pas. Montrer ce qui plait. Le paradis d’un monde onirique, l’enfer d’une mécanique réaliste.

  David tenant la tête de Goliath, 1606

En pleine Renaissance, l’époque est baroque et brutale, maniant l’exquise subtilité épurée de barbarie sanguinaire. Le monde de la Renaissance est un monde en construction démolissant à tour de bras un passé déplaisant au profit du monde que l’on rêve parfait de l’Antiquité. L’histoire de l’art en a retenu une finitude, ce que désiraient chèrement les gens de l’époque. Un aboutissement qui n’en finit pas de commencer, tournoyant sur lui-même jusqu’au fanatisme, brisé net par un souffle de réalisme.
Un homme ordinaire. À la suite d’une bagarre, chacun accompagné de compagnons, Caravage tue un certain Ranuccio Tomassoni, un 26 mai 1606. Le peintre est voué à son art toute la journée, le soir, armé d’une épée, il baguenaude dans les rues à la recherche de querelles. Un homme prompt à l’incartade. Beaucoup de ses toiles jugées trop crues sont refusées par l’église, il n’en est pas moins un peintre célèbre et reconnu. Il fuit.
Michelangelo est né en Italie du Nord, en Lombardie, une lumière différente de celle de l’Italie méridionale des grands peintres de la Renaissance. Le village Caravaggio où il arrive à l’âge de 6 ans à la mort de son père (victime de la peste) se trouve dans l
a Province de Bergame, 50 kilomètres au nord-est de Milan. Sa mère et ses cinq enfants connaissent des difficultés financières. Il est étonnamment doué pour dessiner. À l’âge de 12 ans, il entre dans l’atelier d’un peintre de Milan, Simone Peterzano (1540-1596), ancien élève du Titien, où il travaille jusqu’en 1589. Il ne passe pas inaperçu, jamais. Un tempérament bouillant. Sa mère meurt en 1590. En juillet 1592, il est à Rome. Son souci est de survivre. Il y réussit à merveille grâce à une grande ouverture d’esprit qui lui fait dévorer tout ce qu’il entraperçoit non sans un subtil esprit de contradiction, ne rien avaler qu’il ne puisse digérer. Il se fait embaucher dans un atelier de peinture alors en pleine expansion face à la demande religieuse.

Grand Bacchus, 1597

Il lui arrive de quitter précipitamment un atelier suite à une dispute, une rivalité entre de nombreux apprentis avides de gloire, mais il impose son travail. C’est son Bacchus qui lui offre un premier succès. Cet androgyne bien en chair, rayonnant de joie et de panache possède une force unique qui ne laisse personne indifférent. Non plus un être mythique et lointain, un voisin, une personne reconnaissable par tous. Bacchus devient un déguisement que chacun peut endosser à sa guise. À l’époque, une révolution. Un style nouveau apparaît dans la peinture italienne. Un scandale pour beaucoup, ne serait-ce que ce choix d’un homme efféminé, mais une idée neuve dans un monde artistique voué à se répéter. En 1597, Michelangelo est consacré

celeberrimo pittore .

L'amour vainqueur, 1602

En dehors de son talent, il est dévoré d’ambition. Il n’hésite à aucune longue et fastidieuse démarche pour se faire connaître. Cela ne signifie pas qu’il soit prêt à céder facilement son œuvre, son âme. Sa force recèle une sensibilité extrême. Ce qui l’intéresse, la théâtralisation acerbe de la vie dans laquelle explose sa tendresse. Il peint les jeunes éphèbes, limite androgyne, avec amour. La femme est sérieuse et pudique, le jeune homme est joie et impudeur. Comme il ne se marie pas, la légende d’une homosexualité fleurit, peut-être, peu importe, son art est ailleurs. Un besoin de virilité baignant dans un sentiment féminin. Tout artiste le sait intuitivement, pour voir plus, il faut sortir de son carcan quel qu’il soit. Refuser ce qui est directement accessible est une nécessité.

Tête de Méduse, 1598

L’œil jeune fait peur, mais, dans un univers confiné où tout le monde copie tout le monde, un peu de sang neuf est vital, la chance du jeune peintre dans une société où la peinture est un marché important. Le cardinal Francesco Del Monte (1549-1626), représentant du duc de Toscane au Saint-Siège, un homme moderne, lui offre un contrat de deux ans dans son palais. Il y reste plus longtemps, entre 1595 et 1600, jouissant d’une assez bonne liberté. À l’abri du besoin, une période de formation. Le cardinal reste son mécène. Une protectrice, la marquise douairière de Caravaggio, Costanza Sforza Colonna (morte en en 1626), veillera sur lui toute sa vie, sans doute l’a-t-elle prise très tôt sous sa coupe, un fils spirituel plein de cette vie qui lui manque tant, elle qui se réfugie si facilement dans un creux d’église pour y faire ses dévotions.

Caravage se lance dans une peinture sans prendre le temps d’en disposer les éléments grâce au dessin approprié. Une fois l’œuvre conçue dans sa tête, il jette sa fougue sur la toile, besoin de réaliser vite. C’est dans l’élan qu’il se construit. Tout ce qu’il ne fait dans l’immédiat, il l’abandonne. Il le peut, il est virtuose de son art. Il a besoin d’appuyer son regard sur la base tangible d’un modèle. Cette créativité qui se déverse impressionne. Pour se faire remarquer, il se veut unique, pour cela il change l’ordre ordinaire des gens et des choses, déconcerter, pour plaire. Certains y voient de la maladresse, d’autres du génie. Il ne transige jamais. Il déteste le maniérisme, bella maniera, l’enluminure d’un joli maquillage. Il veut la crudité du mouvement. Il se rabat sur le réalisme, son argument, je représente le réel, donc c’est meilleur. Un monde masculin dominé par la matérialité. Il ne s’arrête guère à la profondeur des personnages. Il épure jusqu’à dégager des volumes que chacun remplit à la convenance de sa quête.

  La diseuse de bonne aventure

Comment ne pas être fasciné par ce monde dont on est le voyeur ? À l’époque il choque, montrer ce que tout le monde peut voir n’offre qu’un petit intérêt. On s’attend à un spectacle démesuré, on voit une Diseuse de bonne aventure, des Tricheurs en train d’arnaquer un pauvre bougre (plus tard, il se battra avec des tricheurs), des scènes bibliques centrées sur leur seul aspect humain. Caravage est obsédé par ce qu’il est en train de vivre, pas par les péroraisons des prélats. Il doit trouver un compromis, plaire à ceux qui ont les sous, assouvir sa passion de la vie. Le maniérisme s’évade dans le rêve séducteur, il veut caser son art dans le vrai. Pour cela, il faut flirter avec l’authentique, le dépuceler pour lui faire des enfants. Ses premières peintures sont limpides de lumière, il ne montre encore presque rien.

Joueur de luth, 1597

Équilibre, raffinement, exactitude, puissance, d’immenses noirs se remplissent de détails fulgurants, un trait forcé jusqu’à la dictature, cette peinture géniale vient à point dans un monde qui a besoin de certitudes. Caravage n’invente pas le cinéma, toute la peinture gothique et de la renaissance en est remplie, des scènes qui se suivent pour recréer une action que tous peuvent lire. Il s’agit d’une image linéaire et démonstrative, le peintre introduit une continuité impérieuse, un suspens qui nous laisse pendus à sa lumière. Des personnages enserrés dans des drames adoptant une attitude presque désinvolte comme s’ils ne mesuraient pas la situation qu’ils sont en train de vivre. La vie n’est ni une partie de loisir, ni un espoir, un labeur quotidien, mettre bout à bout les éléments épars de ce qui arrive sans qu’il soit possible d’en saisir les conséquences. Un monde d’incertitude, d’imprévision, d’incompréhension. Caravage n’explique rien, il montre ce qu’il y a à voir de telle sorte qu’on ne voit rien d’autre.Il ne montre pas le spectaculaire, il veut l’ordinaire de l’existence.

Narcisse, 1599

C’est l’absence d’originalité qui fait l’originalité absolue. L’art est inachevé, il veut l’achever. Une peinture s’accomplit avec lui. Un catholique de la Contre-Réforme y trouve son message, un spectateur ne connaissant rien du christianisme y voit plus. Les détails religieux deviennent humains. La bravoure est une souffrance. Là est la force du peintre amenant le spectateur à une intériorisation, plutôt à une liberté intérieure.

Sainte Catherine d'Alexandrie

De 1599 à 1606, Caravage devient un peintre d’église sans sombrer pour autant dans l’apologie dans un monde où règne l’inquisition. Il devient célèbre. Il se prend d’un orgueil démesuré et s’engage dans des conflits violents quand quelque chose ne lui plait pas. Les disputes s’accumulent, il prend la mouche pour un rien. Il est tailladé de sautes d’humeur brutale à la moindre contrariété. On espère des combats légitimes, on en garde un emportement excessif. Sa peinture révèle des visages qui souffrent et aiment faire souffrir. Le noir accentue l’aspect terrifiant de son œuvre. Cette virilisation de l’art plait à l’église. On est loin du pacifisme et de l’amour des évangiles.Qui aime bien châtie bien, en un mot, aimer, c’est punir.

Saint Jérôme écrivant, 1606

Le peintre est fasciné par le geste musculaire conduisant à la douleur. Caravage n’invente pas le corps, mais sa souffrance éructante, grandiose. Un peintre de la tension et de ce qu’il convient de mettre en place pour la justifier. Le thème religieux et le symbolisme classique sont là, mais ils suintent d’obsessions charnelles. On sent l’homme devant se restreindre pour offrir du présentable, mais explosant dans une touche de cruauté ou de jouissance, alternant dans son œuvre. Parler de réalisme est une gageure, Caravage n’est pas réaliste, il plie le réel sous sa volonté jusqu’à faire croire qu’il ne peut en exister aucune autre. Le réalisme du peintre paraît évident aujourd’hui, à l’époque, il devait l’être moins. Pour ne pas se diluer dans le quotidien, le réalisme est celui d’un plaisir, d’une douleur ou d’une souffrance.

Le sacrifice d'Isaac

Ce qui est crédible, c’est la souffrance ou la jouissance. Tout artiste tend inéluctablement vers sa réalité qu’il parvient à imposer comme une évidence, un scandale peu de temps avant. Reste l’énigme qui fonde le véritable réalisme. Caravage rend merveilleusement compte du cinéma de la vie en montrant des acteurs camouflés derrière leur rôle, insufflant ainsi une impression figurative. Il décortique l’écorce idéaliste de personnages. Il devient facile pour tout à chacun de s’y identifier et d’entrer avec force dans le tableau.

La mise au tombeau, 1603

Le milieu artistique est une fourmilière d’intrigues et de rivalités. Tant qu’il n’a pas subi l’outrage du temps, l’art est terriblement subjectif. Pour peu qu’il connaisse quelque succès, il se veut supérieur à tout autre même paré de la plus aimable humilité. L’art est bouffi d’orgueil, cet orgueil s’intériorise chez certains, chez d’autres, il explose en gerbes d’agressivité courtoise. Au lieu de jouir de sa gloire, Caravage doit fuir la police qui le cherche pour le meurtre de Ranuccio Tomassoni. Bénéficiant de protections, la fuite n’est pas éprouvante. Il se réfugie à Naples alors sous domination espagnole, il continue à peindre.

1606, une commande de nobles napolitains, Les Sept œuvres de la miséricorde(évangile Matthieu XXV, 35), accueillir, donner à boire et à manger, vêtir, soigner, visiter le prisonnier et donner une sépulture. Une femme allaite et soigne un vieillard à la porte d’une prison, Saint Martin tranche son manteau en deux pour le partager avec un pauvre, un assoiffé se rassasie dans une mâchoire d’âne, des pèlerins sont chaleureusement accueillis, les pieds illuminés d’un cadavre prouvent qu’il est dignement préparé. Il rassemble tout sur une même toile, sans aucun fouillis, une image limpide, un tour de force. C’est l’ombre qui unit ces différentes scènes en une unité déconcertante, un film entier en une image, un concentré, un triomphe. Un espace savamment rempli de telle sorte que l’œil s’y promène sans fin. Il quitte Naples pour Malte, le 12 juillet 1607, non en fuyard, mais en peintre acclamé.

Sept œuvres de miséricorde, 1606

Les œuvres se succèdent à une vitesse effrénée. Élevé au rang de « chevalier de grâce » par le grand maître de l’Ordre de Malte, Alof de Wignacourt (mort en 1622), dont il réalise le portrait. Il achève son chef-d’œuvre, La Décollation de Saint-Jean-Baptiste, en 1608. Le thème Salomé recevant la tête du saint a inspiré tous les grands peintres. Comme à son habitude, Caravage ne s’intéresse pas à la psychologie de personnages vaquant à une activité banale, juste avant que Salomé ne reçoive le trophée. Une femme tend une vasque pour recueillir la tête, un geste anodin. Le bourreau fait son ouvrage d’une façon posée et méthodique. Un officiel donne ses directives sans empressement. Seule une vieille femme semble mesurer l’étendue de l’horreur. Elle concentre toute l’émotion du moment. Deux prisonniers se tordent le cou pour ne pas perdre une bribe de l’événement. Des gestes tranquilles envahis de noir. Une simplicité bouleversante qui ne ressemble à rien d’autre qu’à la vie elle-même. L’ordre de Malte est ravi. C’est sa seule toile signée. On dit que, pour atteindre le réalisme, le peintre fait déterrer des cadavres. Il n’imagine rien, il met en scène son regard.

Décollation de Saint Jean-Baptiste

Août 1608, une nouvelle bagarre, Caravage est en prison. Alof de Wignacourt n’y voit pas de gravité, normal en ces temps de rudesse, il connait le passé de son protégé, marquer le coup, montrer qui doit rester le chef. De plus, la marquise Costanza Sforza Colonna, par l’intermédiaire de quelque parent, est là pour le soutenir, rien de grave. Pourtant, le peintre prend peur, il s’enfuit, il quitte l’île sans l’autorisation du grand maître, un crime plus sérieux qu’une simple rixe, il s’expurge de lui-même de l’Ordre, à peine trois mois après son adoubement. Il est accueilli en Sicile en artiste renommé. Il a conquis une chose rare, la liberté. On lui offre une petite fortune pour chacune de ses commandes.

Judith et Holopherne, 1599

Le 24 octobre 1609, il débarque de nouveau à Naples, sans doute y trouve-t-il l’assurance de bons protecteurs peu exigeants ? Il espère le pardon pour ses fautes et un statut l’asseyant définitivement dans la gloire et la richesse. Il est violemment agressé par quatre individus le laissant pour mort. Ses protecteurs se chargent de le secourir.

Tête de Goliath, 1606 : allez voir le tableau complet

Il achève un dernier chef-d’œuvre, David et Goliath. L’identification de la tête de Goliath avec celle de Caravage est une évidence. Aucune haine, ni folie sanguinaire, ni peur, des êtres blasés enchainés à leur destin. David observe la tête sans aucun sentiment de victoire, plutôt de compassion, presque de désespoir. Goliath souffre, mais il s’éteint tranquillement acceptant avec sérénité son sort. Aucun esprit de revanche. La peinture soulève un trouble immense traversant les siècles pour éclabousser de plein fouet notre conscience. Il donne chaque tendon, chaque muscle de sa souffrance comme une offrande au noir absorbant le tableau. Une mort s’annonce. Il veut se rapprocher de Rome. À Porto Ercole, enclave espagnole, en Toscane, où il vient de débarquer, Caravage meurt un 18 juillet, juste avant de recevoir sa grâce des mains mêmes du pape. Englouti par son œuvre.

Voir un article du monde sur la découverte de ses restes

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Une autre oeuvre de Caravage : Le garçon au pannier de fruits que j'ai dans le dossier" images " de monsite

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